En un demi-siècle, des parcs nationaux et des réserves ont été créés partout, sans qu’un véritable volontarisme politique et organisationnel ne leur succède pourtant.
Par Gervais Wafo Tabopda*
wafo@ird.fr
Au Cameroun comme partout ailleurs en Afrique, la gestion de l’environnement commence bien avant la période coloniale. Cependant, le développement des zones protégées sous leur forme moderne prend ses racines pendant la période coloniale. La réappropriation par l’État du Cameroun de cette pratique commence en 1960 au moment de son accession à l’indépendance. L’évolution des politiques de conservation connaît sa phase décisive dans la mouvance du sommet de la Terre de Rio de Janeiro avec la création du tout premier ministère de l’Environnement et des Forêts, en mars 1992. La mise en place d’une structure administrative dotée d’une organisation moderne et adaptée aux questions liées à l’environnement marque le début de l’ouverture du débat écologique au Cameroun et l’assainissement du secteur de la protection et de la conservation des milieux.
En effet, depuis l’indépendance du Cameroun en 1960, la gestion des aires protégées tout comme celle des ressources a été tour à tour confiée à quatre départements ministériels (Agriculture, Élevage et pêche, Tourisme et Développement rural). Le transfert de la direction de la faune et des aires protégées du ministère du Tourisme au ministère de l’Environnement et des forêts en 1992, permet désormais de moderniser les structures d’intervention et la mise sur pied d’une stratégie efficace de suivi de l’environnement global du Cameroun. Cependant l’adaptation du cadre juridique constitue l’une des principales priorités des pouvoirs publics après Rio.
L’adaptation au cadre juridique
La législation camerounaise de 1994 sur les forêts, la faune et la pêche de 1994 apparaît comme l’aboutissement logique du cadre réglementaire et légal qui permettra d’être en conformité avec les instruments existants sur le plan du Droit international en matière de conservation et de gestion de la biodiversité. Cette loi constitue aujourd’hui le texte de référence sur les questions d’environnement. Cependant, pour être efficace, la politique d’un État en matière d’aires protégées doit harmoniser le cadre théorique global et le cadre pratique à l’échelle de la plus petite unité territoriale. Est-ce le cas au Cameroun ? Depuis la promulgation de la loi sur les forêts, l’accent a été mis d’une part sur l’adaptation des politiques de conservation classiques à l’approche participative dans les aires protégées déjà en place et d’autre part sur l’élaboration de nouveaux projets de conservation ex-nihilo intégrant dès le départ l’approche participative ; l’objectif étant de respecter les engagements pris au travers des ratifications des différentes conventions internationales, notamment la multiplication des superficies protégées.
Cependant, les plus grandes réalisations du ministère de l’environnement et des forêts se sont limitées à la réhabilitation de quelques aires protégées déjà existantes, au reclassement de certaines et à la création de nouvelles aires protégées sans relation directe avec les catégories connues de l’Uicn. Cas du sanctuaire de faune de Banyang-Mbo dans la province du Sud-Ouest créé en 1996 sur le site d’une ancienne réserve forestière. Sa mission est d’assurer la conservation de la biodiversité faunique.
Pour être en accord avec les différentes conventions et déclarations qu’il a ratifiées, le Cameroun s’est également doté depuis 1996 d’un Programme National de Gestion de l’Environnement. Ce programme a pour objectif de veiller à la mise en application des recommandations de la déclaration de Rio. Il s’agit plus précisément de suivre les politiques de développement intégré. Celui-ci institue une réelle participation des populations locales et des Ong aux politiques d’aménagement du territoire et de conservation des aires protégées.
La politique de conservation de l’environnement au Cameroun comme dans la plupart des pays du Sud est centrée autour de la protection des espaces. Face à l’évolution de la législation et de la création des aires protégées, on peut s’interroger sur les réelles motivations de l’État et la finalité de la mise en place de ces espaces. Les décisions de création des aires protégées s’intègrent-elles dans un plan global d’aménagement du territoire ? La décision ministérielle de 2002 portant mise en défens de la zone d’intervention du projet de conservation et de gestion de la biodiversité de Campo-Ma’an est assez révélatrice de la situation. En effet cet espace est assez isolé pour être intégré dans un processus national de conservation. Cette aire protégée est née de la fusion de la réserve de faune de Campo créée en 1932 à l’époque coloniale et celle de Ma’an créée après l’indépendance en 1980. En 2000 Campo-Ma’an a été érigée en parc national. Sa superficie totale est de 709 760 hectares dont une zone intégrale de 290 232 hectares.
Le cas de la réserve de Campo-Ma’an suscite quelques inquiétudes pour deux raisons. D’abord, le projet de conservation arrive tardivement ; ensuite, en admettant qu’il en existait un, au moment de la création, nous constatons que la mise en place de ce projet ne respecte pas toute la démarche que nécessite la création d’un parc national. Les pouvoirs publics ont-ils procédé à une étude préalable de l’état des aires protégées existantes avant la mise en place de nouveaux projets ? Au moment de la redynamisation des politiques de protection et de conservation des aires protégées, un diagnostic s’avère nécessaire pour comprendre les échecs ou les succès précédents. Au Cameroun, les causes de maintien ou de destruction des zones en réserve sont variées et le choix du site y joue un rôle très important. Par ailleurs, le contexte socio-politique d’un pays, notamment le taux d’urbanisation ou l’accroissement démographique, peut avoir un impact sur la stabilité de ses aires protégées. C’est le cas de plusieurs réserves du Cameroun qui n’ont pas pu résister à l’évolution démographique des localités situées aux alentours ou à proximité.
La réserve forestière et de chasse de la région du Logone créé en 1938 et couvrant 40 000 hectares (à cheval sur les actuels départements de Mayo Kani et du Mayo-Danay dans la province de l’Extrême-Nord) n’a pas résisté aux migrations des populations Muzuk et Masa durant la seconde moitié du XXe siècle. De même les réserves forestières de Férengo et de Mayo Ibbé non loin de la ville de Maroua ont disparu sous la pression que la population urbaine, de plus en plus croissante, exerçait sur ses ressources ligneuses. Les exemples sont nombreux et se trouvent dans des zones à forte densité de population. La réserve forestière des monts Bamboutos créée en 1948 sur une superficie de 222 ha et située en pays bamiléké à plus de 1800m d’altitude, n’a jamais été reconnue par les populations locales qui y pratiquent des activités agropastorales. Par contre, la réserve forestière et de faune de Santchou créée en 1964 résiste encore grâce à sa situation sur un site difficile d’accès. Il en est de même pour le parc de Waza dans l’Extrême-Nord où la présence de grands mammifères et de fauves dangereux dissuade toute velléité d’anthropisation.
Conflits d’intérêts
Nous tentons ici d’identifier les sources des conflits potentiels qui peuvent subvenir entre différents acteurs, sachant que les rapports entre les parties prenantes souffrent parfois de nombreuses divergences. Il est important aujourd’hui d’inventorier les indicateurs de conservation ou de transformation de la biodiversité dans les aires protégées, les facteurs de vulnérabilité et les différents types de risques auxquels elles sont confrontées. Une telle démarche qui permettrait d’évaluer l’apport réel de chaque partie impliquée dans la gestion des aires protégées nous semble intéressante mais onéreuse. Le gouvernement camerounais a-t-il la capacité de mener un tel projet à l’échelle nationale ? Tel est le véritable problème auquel sont confrontés les gouvernements des pays du Sud au moment où le développement local doit aller de pair avec utilisation durable des ressources et conservation de la biodiversité.
Les pays du Sud sont généralement soumis à une double obligation : l’obligation de respecter les engagements pris auprès de la communauté internationale et l’obligation de promouvoir un développement socio-économique des populations dont ils ont la charge. Dans l’impossibilité de satisfaire à toutes ces obligations, ils sont parfois obligés de recourir à des financements extérieurs pour la mise en place des programmes de conservation de l’environnement ; ces financements provenant des fonds qui appartiennent à des structures internationales. Cette situation s’apparente à ce qui peut être qualifié de dépendance écologique des pays en développement vis-à-vis des organismes internationaux et des organisations non gouvernementales. Cette dépendance se manifeste par le fait que les fonds destinés à la conservation proviennent de ces structures internationales qui accaparent des domaines importants d’action publique quelques fois au mépris de la souveraineté des États sur leurs ressources et en violation des dispositions de l’alinéa 4 et de l’article 3 de la Convention sur la diversité biologique.
Dans la plupart des pays en développement, la mise sur pied des projets de développement prenant à la fois en compte les besoins des populations et la sauvegarde de l’environnement s’avère difficile. En effet, ces projets sont conçus à partir des structures ayant des logiques différentes de celles des sociétés concernées. Cette divergence d’opinion en amont est l’une des principales sources de conflit entre les parties prenantes. Il s’en suit des confrontations à tous les niveaux de décision ; ces confrontations pouvant à terme laisser des traces au niveau local, notamment dans la dynamique globale des espaces protégées.
L’efficacité d’un projet de développement durable dépendra donc de la qualité du plan d’aménagement global. Celui-ci aura considéré en amont le développement socio-économique et la conservation des ressources comme des priorités. Ceci est peut-être vrai pour les pays développés où l’aménagement du territoire est mieux structuré. Dans les pays d’Afrique par contre, l’occupation de l’espace précède les programmes d’aménagement. Les stratégies de gestion intégrée des milieux dits protégés se heurtent aux obstacles et incompréhensions à tous les niveaux d’organisation. C’est ce qui explique l’impossible dialogue entre les différents acteurs intervenant dans ces projets. D’où une autre source potentielle de conflit : la complexité de la gouvernance de l’environnement au sens large. Les questions liées à la conservation de l’environnement sont au coeur des débats de tous ordres. Elles suscitent de grandes réflexions au plan politique, économique, social, culturel et stratégique. Nous pensons que les questionnements autour des aires protégées vont au-delà de celles portant sur les ressources à protéger.
* Docteur en géographie. Thèse : « Les aires protégées de l’Extrême-Nord Cameroun entre politiques de conservation et pratiques locales », septembre 2008.
J'ai parcouru avec un intérêt particulier, ce papier. S'il fait un zom sur les aires protégées du Cameroun, il est bien loin de la réalité sur le terrain. En ma qualité de Conservateur du Parc National de Campo (depuis 2008, ancien conservateur de la Réserve de Biophère du Dja 1992 à 2002), et enseignant occasionnel du droit de l'environnement (CRESA-Bois, antenne de l'Université de Dschang, de 2003 à 2006) et quelques fois consultant (national ou international), principalement sur des dommaines qui touchent directement la gestion des aires protégées du Cameroun, je vous invite à plus d'humilité dans vos analyses. Nous sommes disposés à apporter un petit plus à ce débat, sur la base de notre modeste expérience d'homme de terrain.
RépondreSupprimerMonsieur Seme, je vous remercie pour votre remarque pertinente. J'ai d'ailleurs lu avec beaucoup d'intérêt des rapports de vos activités dans la revue d'Ecofac. Je regrette de n'avoir pas pu vous répondre à temps. Je n'avais pas vu votre commentaire. Je serai très ravi de discuter avec vous. Cette réflexion n'était à l'époque que ma modeste contribution dans le débat environnemental en cours. Je pourrai vous envoyer par mail des articles que j'ai publiés sur le sujet ainsi que le lien par lequel vous pourrez télécharger ma thèse. Bien cordialement
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